Le discours de Greta Thunberg à la loupe

 

A New York, lors du sommet pour le climat organisé par l'ONU, la prise de parole de Greta Thunberg, la jeune activiste suédoise, a de nouveau marqué les esprits… et suscité de très nombreuses réactions dans le monde entier, entre soutiens pour son combat et vives critiques. Revue de détails par Adrien Rivierre, spécialiste de la prise de parole en public.

Le discours est court, très court, très exactement 4 minutes et 26 secondes. Il est préparé et même rédigé comme le prouve le papier que Greta Thunberg tient entre ses mains et qu'elle regarde à plusieurs reprises. Désormais habituée des grands sommets internationaux, elle savait qu'elle devait frapper fort. Elle n'a pas manqué l'occasion.

Le ton est donné dès la première phrase et se révèle surtout être son premier avertissement : « Mon message est que nous vous surveillerons ». Ce « vous » désigne ses adversaires, les gouvernements du monde entier qui n'agissent pas ou pas assez selon elle pour réaliser la transition écologique. Mais plus encore, ces mots annoncent toute la structure et la dynamique de son intervention.

En effet, Greta Thunberg utilise un procédé bien connu des orateurs : le raisonnement binaire. Ce dernier consiste à réaliser une dichotomie, souvent simplificatrice, entre deux réalités qui s'opposent frontalement. Cette division pousse ainsi l'audience à choisir son camp et à se positionner sur un sujet. Ici, soit vous êtes du côté de Greta Thunberg et de la jeunesse, soit vous êtes des ennemis de leurs aspirations, c'est-à-dire du côté des gouvernements. Et cette division est très aisément visible par l'emploi fourni des pronoms personnels « je » et « nous » d'un côté et du « vous » de l'autre.

D'ailleurs, le discours ne laisse absolument aucun doute sur les intentions de l'oratrice. Il est résolument offensif et engagé… voire accusatoire. L'important n'est donc pas tant la qualité du raisonnement mené - même s'il y a des arguments et des preuves avancés - mais l'accumulation d'éléments qui sonnent comme de véritables slogans. Il y a bien sûr la répétition « Comment osez-vous ? », mais également des phrases chocs comme « Et si vous choisissez de nous décevoir, je dis : Nous ne vous pardonnerons jamais. ». A l'écoute de son intervention, il saute aux yeux que les phrases sont majoritairement courtes et ainsi percutantes.

 
 

Intransigeance et fermeté

Avec ce discours, l'objectif principal de Greta Thunberg est parfaitement atteint. Elle joue son rôle de lanceur d'alerte. Pour attirer l'attention et éveiller les consciences, l'oratrice s'engage sans concessions ni détours, et force est de constater que cela produit son effet. Et, si certains de ses mots peuvent sembler violents, ils sont à relativiser au regard de l'ampleur du défi qui se dresse devant l'humanité. La jeune suédoise sait que pour favoriser le passage à l'action, elle doit créer un sentiment d'urgence.

Néanmoins, la puissance de cet engagement détonne car il se produit au coeur d'institutions et d'événements habituellement feutrés. Mais ce n'est pas un phénomène nouveau. Dans les années 1960, lors de la lutte pour les droits civiques et contre la ségrégation raciale, deux orateurs s'imposent comme des leaders. 

D'un côté, Martin Luther King, celui dont le nom est passé à la postérité notamment avec son discours « I Have a Dream ». Modéré et militant pour la paix, ses prises de parole visent à engager un dialogue pour faire changer le cours des choses. De l'autre, Malcom X, un orateur de talent qui se prononçait en faveur de l'usage de la violence par les Noirs en représailles des souffrances infligées par les Blancs. Très en colère, il n'avait aucunement l'intention de négocier. C'est exactement la position que semble aujourd'hui vouloir tenir Greta Thunberg : intransigeance et fermeté.

 

Logos, pathos, ethos

Son propos se démarque également par l'excellente utilisation de plusieurs chiffres et données factuelles qui jouent le rôle de preuves irréfutables et accablantes (le « logos » des Grecs anciens), mais également par l'appel aux émotions (le « pathos »). Il ne suffit de quelques secondes d'écoute pour ressentir sa détermination.

D'ailleurs, les critiques se cristallisent largement sur son « ethos », c'est-à-dire l'image qu'elle renvoie comme oratrice. Il est vrai qu'au début, avec une bonne dose de stress en plus probablement, Greta Thunberg laisse éclater sa colère. Les traits de son visage se ferment, la mâchoire se serre, à plusieurs reprises sa bouche prend même les traits du dégoût, les intonations de voix se font plus fortes en fin de phrase comme pour donner des coups de marteau successifs…

Sans oublier que Greta Thunberg n'a que 16 ans, je pense qu'elle gagnerait à alterner les modalités de son langage non verbale et para-verbale c'est-à-dire à être plus calme et posée à certains moments. Sans céder sur sa fermeté, la maîtrise de ses émotions rend un propos parfois encore plus puissant et efficace.

 

Un grand risque

Suite à ce discours et à  la plainte déposée contre la France par Greta Thunberg, Emmanuel Macron a réagi en affirmant que « Des positions très radicales, c'est de nature à antagoniser nos sociétés ». Autrement dit, il met en garde contre l'impossibilité de dialoguer et d'échanger. C'est en effet un risque que prend aujourd'hui l'activiste suédoise… et qui lui réussit pour l'instant. 

Néanmoins, dans un second temps, celui de la nécessaire convergence, ou pour être hégélien celui de la synthèse (après la thèse et l'antithèse), elle devra laisser la place au débat contradictoire car la seule critique frontale ne mène jamais loin. Pire, elle s'isolerait et se cantonnerait à un simple rôle d'opposition, ce qui serait dommage.

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Adrien Rivierre